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Interview – Thierry Dol : «Je ne veux plus être l’otage de personne»

Le Parisien – Propos recueillis par Thibault Raisse

martignac

Paris (VIe), le 10 novembre 2015. Thierry Dol dépose deux plaintes pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « non-assistance à personne en danger » visant Areva et l’Etat français : « Une note de l’entreprise, reçue à l’été 2010, nous incitait à davantage de prudence, preuve que la société n’ignorait pas ces risques.» – LP/MATTHIEU DE MARTIGNAC

Pour la première fois depuis sa libération il y a deux ans, Thierry Dol, l’un des ex-otages d’Arlit au Niger, parle. Il annonce son intention de porter plainte pour connaître les conditions de son enlèvement et de sa libération.

Sa silhouette géante apparue sur le tarmac de Villacoublay, le 30 octobre 2013, a marqué les esprits. Thierry Dol, 34 ans, n’avait jamais ressenti le besoin de s’exprimer dans les médias sur ses 1 139 jours aux mains d’Aqmi. Deux ans après sa libération et celle des trois autres otages enlevés le 16 septembre 2010 sur le site minier d’Areva à Arlit (Niger), le Martiniquais a décidé de parler. Et d’agir. Par l’intermédiaire de son avocat, Me Alex Ursulet, l’ingénieur annonce le dépôt de deux plaintes pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « non-assistance à personne en danger » visant Areva et l’Etat français. Une procédure qui vient compléter l’enquête antiterroriste toujours en cours, et dont il espère qu’elle fera enfin toute la lumière sur les mesures de sécurité prises par l’entreprise, et les conditions toujours méconnues de leur libération. Un témoignage fort et pudique d’un homme qui peine à se reconstruire.

Comment vous êtes-vous retrouvé à Arlit ?
THIERRY DOL. J’ai été embauché par Vinci en 2005 après mes études d’ingénieur. J’avais envie de m’expatrier et, en 2008, cette opportunité s’est présentée. La sécurité, assurée par une société privée, s’est renforcée progressivement à cause des combats qui opposaient la rébellion touareg au pouvoir nigérien. Mais la mort de l’otage Michel Germaneau, en juillet 2010, et les frappes aériennes françaises qui ont suivi ont peu à peu augmenté les risques qui pesaient sur nous.

Areva a-t-il renforcé la sécurité des employés ?
Une note de l’entreprise, reçue à l’été 2010, nous incitait à davantage de prudence, preuve que la société n’ignorait pas ces risques. Mais le document se contentait de prodiguer des conseils, comme le fait de modifier nos trajets. Cette crainte pour notre sécurité m’a en partie poussé a demandé ma mutation, que j’ai obtenue en août, soit un mois avant l’enlèvement. Je devais encore rester le temps de la formation de mon successeur. Les derniers jours, la menace était telle que j’étais persuadé qu’Areva allait nous évacuer. Au moment de notre enlèvement, des investisseurs chinois étaient présents. Leur sécurité a-t-elle primé sur la nôtre ? Je veux que toute la lumière soit faite.

Comment avez-vous vécu ces trois années de captivité ?
Des militaires français ont comparé les lieux à la planète Mars. Nous étions la plupart du temps attachés, les yeux bandés, vivant et dormant à même le sol. Ils nous traitaient comme des esclaves, nous assignaient des corvées. Le plus dur pour moi était d’accepter cet état de soumission. Nous avons subi les menaces, les tortures, les simulacres d’exécution, où les geôliers tirent juste au-dessus de votre tête. Nous avions droit à deux litres d’une eau maculée de gazole par jour sous 60 °C. La journée, nous étions assis dehors sous des arbres aux branches décharnées. Nous cherchions le moindre centimètre d’ombre en fonction des mouvements du soleil pour ne pas mourir déshydratés.

Vous avez développé des capacités de mémoire incroyables…
Pour supporter le quotidien, j’ai abandonné tout espoir rapidement, refusant de penser au passé, au futur, à mes proches. Le seul moyen de ne pas sombrer, c’était de rester concentré sur l’instant présent. J’avais déjà des capacités d’hypermnésie, mais elles se sont développées. Dans les mois suivant ma libération, j’étais encore capable de décrire en détail ce qui s’était passé le 456e ou le 732e jour. Chaque voix, chaque bruit, chaque mouvement que je percevais était un événement qui accaparait toute mon attention.

Vous avez tenté de vous évader en compagnie de Daniel Larribe en février 2012…
Il fallait mettre un terme à ce cauchemar. Je me disais : « Au bout, il y aura liberté ou la mort, mais l’essentiel, c’est que cette situation s’arrête. » Pendant deux mois, nous avons stocké des restes de nourriture dans des vêtements. Nous avons aussi laissé des indices pour faire croire à un départ dans une direction, alors que nous en allions en prendre une autre. Nous avons marché de nuit 30 km pendant deux jours, jusqu’à rencontrer un chamelier, dont le fils nous a dénoncés. A partir de cet instant et jusqu’à la fin, Daniel et moi sommes passés du statut d’esclave à celui d’animal.

Que savez-vous des conditions de votre libération ?
Le matin de la libération, les geôliers nous ont offert le café, avant d’annoncer que nous allions revoir nos familles. Nous n’avons pas eu le temps de réaliser. Et puis il y a eu les officiels, le président, les honneurs. Sur le tarmac de Villacoublay, on me voit sourire, mais je me disais qu’ils avaient beau jeu de nous mettre en scène après nous avoir abandonnés. Je n’imaginais pas ce qui avait été fait pour nous. Aujourd’hui, j’ignore encore s’il y a eu rançon, si oui combien, les intermédiaires éventuels, les autres contreparties… J’ai besoin de savoir. C’est l’un des objectifs de la procédure que j’intente aujourd’hui.

Que s’est-il passé depuis ?
Il faut réapprendre à vivre. S’ouvrir à nouveau aux émotions. J’y travaille, mais je conserve aujourd’hui encore une certaine froideur. Je me bats également toujours pour mon indemnisation. Le fonds de garantie m’a proposé 26 EUR par jour de détention. Les otages de Jolo, enlevés pendant trois mois en 2000, ont obtenu une décision de justice leur octroyant une somme nettement supérieure. Avons-nous moins souffert qu’eux ? C’est indécent, après ce que nous avons vécu, de devoir entrer dans des discussions de marchands de tapis. Je ne veux plus être l’otage de personne. J’ai tout perdu. Je veux juste avoir le droit de me reconstruire.

Le Parisien – Propos recueillis par Thibault Raisse

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Cette entrée a été publiée le 28/12/2015 par dans Société, et est taguée , .

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